Épilogue
La Bible nous apprend que Dieu a créé la terre en une semaine. Je ne connais pas grand-chose à l’histoire religieuse mais je me rappelle ce détail. Quant à savoir si c’est vrai, je laisse ça aux érudits. Tout ce que je sais, c’est qu’il peut se produire beaucoup de choses en une semaine. On peut troquer le statut de fantôme qui se languit de sa fille contre celui de chasseuse de primes céleste sur la piste d’une semi-démone meurtrière. Et celui de justicière malgré elle contre celui d’ange à plein-temps, qui s’enferme dans un contrat éternel de protectrice de la justice. Et à d’autres périodes, la transition est moins évidente mais, à sa façon, elle ne bouleverse pas moins votre vie.
Il s’était écoulé une semaine depuis que j’avais ramené la nixe. Je me trouvais toujours dans le monde des esprits – les Parques m’avaient accordé un mois supplémentaire ici, tandis que je me préparais pour mon passage dans le monde des anges. Je ne savais toujours pas à quoi m’attendre. J’avais déjà subi deux jours d’une formation débile qui avait surtout consisté en une liste de règles trop longue pour toute personne n’ayant pas la mémoire parfaite d’un ange de sang pur… ou du moins était-ce l’excuse que je m’étais trouvée quand j’avais commencé à les enfreindre.
À la fin de cette semaine, les Parques nous confièrent, à Trsiel et à moi, notre première mission. Rien de difficile – simple expulsion de routine d’une poignée de hanteurs, mais qui promettait d’être distrayante. Avant de m’y embarquer, toutefois, il me restait quelque chose à faire.
Kristof m’accompagna jusqu’au jardin de Paige et de Lucas. J’y restai plantée un moment, regardant la maison, me rappelant son odeur, quel effet ça faisait de m’y trouver, d’y être vraiment, mémorisant tout ça. Puis, lentement, je relâchai la main de Kris et me dirigeai vers la porte de derrière.
Quand j’entrai, Lucas et Paige se trouvaient dans la cuisine où Lucas tournait le dos au bar, un torchon sur l’épaule, tandis que Paige s’appuyait contre lui, serrant ses mains, levant le visage vers le sien pour échanger des murmures.
— Salut, vous deux, leur dis-je doucement. Je venais vous remercier. Je sais que vous ne m’entendez pas, mais je voulais vous le dire quand même. Vous faites un beau boulot avec elle. Un boulot formidable.
Lucas gloussa de rire en réponse à ce que venait de lui dire Paige, puis écarta une boucle de cheveux de sa joue.
La porte de derrière s’ouvrit brusquement.
— Y a quelqu’un ? cria une voix assez fort pour faire trembler le toit.
Je me retournai pour voir un jeune homme aux cheveux châtains, aux larges épaules et au sourire plus large encore. Un visage familier, du moins dans cette maison.
— Adam ! (Paige se dégagea de l’étreinte de Lucas et se retourna tandis qu’Adam la serrait contre lui en prenant soin de ne pas toucher son épaule blessée.) En voilà une surprise. Je ne t’attendais pas avant lundi.
— La vraie surprise est encore à venir. (Par-dessus sa tête, Adam gratifia Lucas d’un clin d’œil.) Donc, on est prêts pour la réunion de lundi ? Jaime vient, dites ? Elle a récupéré de son épreuve ?
Tandis qu’ils parlaient, je me faufilai jusqu’à la porte.
— Au revoir, tous les deux, chuchotai-je. Je vous présente tous mes vœux. Vous le méritez.
Je trouvai Savannah dans sa chambre, vêtue d’un jean et d’un soutien-gorge, bavardant au téléphone tout en étudiant un lit couvert de tee-shirts.
— … emmène Paige pour le week-end, dit-elle. Escapade en amoureux, grosse surprise, la totale. (Elle marqua une pause, puis ricana.) Ouais, c’est ça. Je ne peux pas passer la nuit toute seule avant d’avoir dix-huit ans. Non mais t’y crois ? Donc ils ont appelé Adam.
Elle souleva deux tee-shirts l’un après l’autre, scrutant son reflet dans le miroir, puis jeta les deux à terre en tordant les lèvres de dégoût.
— Ouais, ouais, il est mignon, mais il est encore plus vieux que Paige. (Pause.) Vingt-six ans. (Elle fit la grimace.) C’est dégueu. Jamais de la vie.
Elle s’empara d’un tee-shirt sur le lit, marmonna « Deux secondes » puis le passa par-dessus sa tête. Il était trop petit d’au moins deux tailles. Elle l’inspecta sous tous les angles dans le miroir, hocha la tête d’un air satisfait puis tendit la main vers sa brosse à cheveux et reprit le téléphone de l’autre.
— Je dois filer, ma puce, lui dis-je tandis qu’elle se brossait les cheveux tout en discutant avec son amie. Je ne reviendrai pas aussi souvent qu’avant, et je voulais simplement te le dire. Tu sais que ça ne signifie pas que la situation a changé. Tu es toujours la plus belle chose que j’aie faite. Mais tu as ta vie, et moi, il faut peut-être enfin que j’aie la mienne.
On frappa deux coups à la porte.
— Quoi ? hurla Savannah.
— Tout le monde est présentable ? demanda Adam. Je vais entrer.
Tandis que Savannah se passait du brillant sur les lèvres, Adam secoua la poignée de la porte. Elle traversa la pièce en courant pour l’ouvrir.
— Qu’est-ce que tu fous ? dit-elle. C’est ma chambre. Tu ne peux pas débarquer comme ça.
Il leva les yeux au ciel.
— Oh, c’était juste pour te mettre en boîte. (Il entra et regarda autour de lui.) Je vois que tu n’as pas rangé depuis mon dernier passage.
— Hé, c’est ma chambre ! Dégage !
Il se retourna pour lui obéir, et elle le saisit par le bras.
— Je n’ai même pas droit à un bonjour ? demanda-t-elle. Ce que t’es impoli, j’en reviens pas.
Je secouai la tête et souris tandis qu’ils plaisantaient.
— Pauvre petite, lui dis-je. Ça ne t’a toujours pas passé, hein ? (Je les contournai pour regagner la porte.) Je dois partir, mais je viendrai prendre de tes nouvelles de temps en temps. (J’hésitai, puis m’approchai de Savannah et me penchai pour l’embrasser sur la joue.) Je sais que tu vas t’en sortir, ma puce. Tu n’as pas besoin que je m’en assure.
Je me retournai vers le couloir. Savannah lança quelques mots à Adam qui éclata de rire. Je me dirigeai vers le haut de l’escalier et hésitai. Un dernier regard, rien qu’un dernier…
Je redressai les épaules et descendis les marches, traversai la cuisine et sortis dans le jardin, où Kristof m’attendait.
Fin du tome 5